Sortir : D'où vous est venue l'idée du spectacle, autour du handicap, de la différence, Take my hand ?
V. Debarge :
Elle vient de ma rencontre avec Nicolas Brimeux, comédien handicapé à plus de 80%, avec des problèmes de motricité. J'ai vu l'un de ses spectacles en Avignon en 2005. On me l'avait fortement recommandé, mais il était 16h, il faisait chaud, j'y allais un peu en traînant les pieds. Et j'ai été bouleversée ! Par la présence de Nicolas, plus que par son monologue, plutôt classique. A la sortie du spectacle, je vais le voir, mais reste bouche bée ! Deux ans plus tard, il me re-contacte, et on décide de se rencontrer. J'ai été chez lui, car il a des difficultés pour se déplacer, je suis entrée dans son univers. Là encore, je me suis trouvée bouleversée par cet autre espace temps, des mouvements très lents, mais une très grande force, une grande acuité, dans ce quotidien entravé... J'ai écrit une pièce où il jouait un rôle. Là, il s'agit d'un spectacle autour de lui, je ne suis pas partie de textes pré-définis, mais de longs entretiens avec lui, pour entrer dans son univers. Très vite, Dominique (l'autre comédien – ndlr) est associé au projet, il me représente, le « corps normal » face au handicap.

Sortir : Que racontez-vous ?
V. Debarge :
J'ai voulu explorer notre rapport à un corps entravé, saisir des bouts de réalité, de vie de Nicolas. Dire les choses sans pitié, avec réalité, sur ce que nous fait la présence d'un corps handicapé, compassion ? Révulsion ? Mais aussi dire la frustration de Nicolas, cet autre monde. On explore ces deux points de vue au corps ! Dans la première partie, on voit la façon dont la société gère le handicap. J'ai voulu dénoncer le charity business et ses effets spectaculaires. Puis se takemyhand 2.jpgpencher sur le traitement de cette question au niveau politique, médical... La façon aussi dont Nicolas ment sur son handicap. Tout est blanc, construit par images, sur du son acousmatique. Ça donne quelque chose d'un peu glacial. Dans la seconde partie, Nicolas dit à Dominique, « ça suffit, on rentre ! » La société s'écroule, on entre dans un rapport corps à corps, on rentre dans l'intimité, une partie plus dansée. Il n'y a presque pas de texte, ce n'est pas une logorrhée où il raconte sa vie ! Et tout cela sans misérabilisme, de façon très crue.

Sortir : Comment Nicolas est-il devenu comédien ? Dans quel état d'esprit est-il juste avant les premières représentations ce week-end ?
V. Debarge :
Le théâtre, ça a toujours été son truc. Il a été élevé en partie par sa grand-mère qui l'a ouvert à la littérature, à la culture. Dans la pratique, on se rend compte que tout n'est vraiment pas accessible ! Le théâtre Massenet, les loges, les accès, par exemple, ne sont pas prévus pour un comédien handicapé, mais on s'adapte ! Par contre, j'ai exactement la même exigence envers lui qu'envers un autre comédien.
Là, il a très peur, c'est un saut que ce spectacle pour lui : c'est la première fois qu'il travaille autour du handicap, on va dire des choses...

Sortir : Justement, quel message souhaitez-vous faire passer ?
V. Debarge :
Comment la société agit sur nous, comment aujourd'hui on voudrait éradiquer cette différence, pour la culture de la performance. Dire à quel point si on prend le temps de s'arrêter, ça nous amène un vrai rayon de soleil, une leçon de vie, c'est ce que ça m'a fait. Passer deux heures avec Nicolas, ça montre à quel point nos petits problèmes sont débiles.
Nicolas sert de vecteur pour montrer ce c'est que d'être différent, mais nous sommes tous différents les uns des autres : un message universel, de tolérance. Et, à la différence de mes autres spectacles, j'ai promis de finir sur une note d'espérance !